Voilà quelques temps que je cogite sur le thème de la revanche et de la vengeance, car je constate grâce à ma propre existence que c'est l'un des principaux facteurs des maux de notre société. Ce temps de réflexion a duré plus que de coutume car je n'arrivais à trouver ni porte d'entrée ni porte de sortie. Le thème ne mérite que peu de lignes s'il n'est abordé dans le but de faire tourner une grande page au lecteur, ce qui est mon dessein après tout.

La revanche est le prix que l'homme souhaite faire payer à celui qui lui a fait du mal. Tu m'as trompé, je te trompe pour que tu te rendes compte aussi du mal que cela peut faire. Par cet acte je tranquillise mon propre ego qui a subi un heurt, du moins je le crois, car un mal pour un mal nous donne l'illusion de nous soulager et de nous mettre en paix. C'est une gigantesque erreur, certainement la plus grande et la plus courante qui ait pu rythmer jusqu'ici les pseudo-équilibres de justice entre les humains. En effet, nombre de morales issues de textes religieux prônent un donné pour un rendu et mettent l'homme dans une logique de destruction sans fin. Le fameux oeil-pour-oeil et dent-pour-dent présent dans plus d'un ouvrage religieux oblige le croyant à appliquer une loi de vengeance basée sur le paiement à même hauteur du mal subi. Certes celui qui connaît cette loi avant de faire l'acte de mal sait à quoi s'attendre s'il va de l'avant dans son projet malveillant, mais la peine de mort qu'appliquent nombre de pays suffit-elle à éviter que les actes délictueux soient commis? Certainement pas, il y a donc une absurdité de logique.

Le Nouveau Testament ainsi que l'enseignement du Bouddha excluent le principe de vengeance en prônant celui du pardon et de la non-violence. Cela n'a pas non plus changé fondamentalement l'humain puisqu'il continue d'appliquer son esprit de revanche au nom de Dieu ou du Bien. Nous avons tous le souvenir de ce cher George W. Bush prônant la guerre du bien contre le mal lors de son projet de vengeance de l'attaque du 11 septembre, par ce biais il obtint le ralliement de l'opinion publique et politique pour aller massacrer plus de 100'000 irakiens qui n'avaient rien à voir avec les attentats de New York. En prétextant ces « saintes » représailles, il put enfin venger son papa resté sur sa faim lors de la première guerre du Golfe. Malgré ses desseins assouvis, ce stupide président n'obtint plus le soutien de la population et laissa place au contre-balancier que représente Obama, en opposition à tout résultat logique lié à sa guerre. C'est signe que la revanche fait partie intégrale de l'être, mais qu'elle ne répond pas à une saine logique. Partant du principe qu'appliquer la revanche est un acte malsain et néfaste, il faut donc maîtriser cette pulsion; le chemin qui mène à sa libération passe par le travail sur soi, c'est un peu comme d'autres défauts tels que la cupidité. Je dirais donc que l'esprit de revanche ou de vengeance est un acquis naturel de l'ego, il est à combattre et à éliminer, condition sine qua non de la saine évolution, continuer à agir par vengeance mène à la ruine de l'être.

Lorsqu'on se sent floué ou blessé, le sentiment premier qui envahit est donc naturellement un besoin de vengeance. La difficulté dans le chemin de sa libération consiste à contrôler et éloigner cette pulsion, de sorte qu'elle ne pollue pas nos actes par une récidive provoquant une possible cascade de vengeances en retour. Lorsqu'on observe la réalité israélo-palestinienne, voilà plus d'un demi-siècle que de part et d'autre un mort est vengé par un autre, cette situation n'en finit pas et flirte souvent avec des paroxysmes traduits par des affrontements lourdement armés. Plus intimement, au sein du partenariat de couple, les erreurs et blessures rythment la dynamique entre hommes et femmes en alimentant une tension furtive mais bien réelle. Chacun s'adonne à maintenir l'autre dans une forme de soumission perverse par le rappel du prix à payer des erreurs passées. Qu'il s'applique à l'individu ou au groupe, l'esprit de vengeance mène au blocage et à la frustration mutuelle, il faut donc apprendre à le reconnaître, à l'identifier quand il s'éveille afin de commencer à le dompter, car il s'agit bien d'apprivoiser un sentiment dont nous sommes tous dotés pour aller au-delà des blocages qu'il provoque, notre évolution et notre survie en dépendent. Aussi avons-nous besoin de sentir des vibrations positives pour voir la vie avec optimisme, le sentiment de revanche nous enferme dans une spirale néfaste qui sollicite tout notre être au service de plans machiavéliques et malveillants, nous vaquons alors dans le négatif et ce qu'il engendre comme destruction de l'esprit et du corps. Si nous considérons que notre évolution spirituelle constitue largement le sens de notre existence matérielle, est-il possible d'acquérir une quelconque sagesse par l'accumulation de revanches et de vengeances? A mon sens pas le moins du monde...

La connaissance de son ego est une condition incontournable pour identifier l'esprit de revanche. En effet comment imaginer pouvoir isoler cette pulsion si l'on est encore aveuglément assujetti à l'ego? Pour ceux et celles qui n'ont pas encore connaissance de ce qu'est l'ego, j'en résume ici quelques fondements, pour en savoir plus je les invite à faire leurs propres recherches.

L'ego est le moi, ce fameux « je » qu'on apprend à dire dès l'âge de 2-3 ans, cet être qui tantôt domine, possède, jalouse, cet affamé de compétition, de flatteries et d'admirations. L'ego est essentiel dans notre existence, mais ne constitue qu'une partie de nous et peut parfois causer bien des dégâts. L'ego nous permet d'assumer notre individualité par son affirmation, il est preuve que mon être est différent d'un autre, mais il n'a rien à voir avec l'esprit qui nous habite, il appartient à une couche inférieure liée à notre bloc de conscience. Il revient donc à chacun de connaître son propre ego afin de savoir quand c'est lui qui dirige ses pensées et ses actions. Les enfants sont souvent de l'ego pur, c'est à l'âge adulte qu'en général ce chemin de reconnaissance et d'identification devient possible (bien qu'à mon sens il ne s'agisse que d'un point de vue occidental, je reste persuadé que cela serait possible dès l'école primaire). Souvent c'est l'ego qui domine l'être, par son besoin de reconnaissance ou de domination; l'esclave de l'ego peine à discerner clairement les éléments d'une situation donnée, il manque de recul et prend presque toujours des décisions faisant fi de l'intérêt de son prochain, seul compte son avantage, c'est l'égoïsme ou encore l'égocentrisme.
Comme pour le besoin de reconnaissance, celui de revanche ou de vengeance se situe dans le même mécanisme dicté par l'ego. Si quelqu'un me traite d'idiot, le heurt que je ressens quasi-instantanément enclenche un processus de vengeance qui me pousse à l'insulter à mon tour, voire à lui faire du mal de quelconque façon. L'ego est blessé, l'amour propre a pris un coup, je ne dois pas perdre la face et je fais en sorte de trouver le meilleur moyen d'avoir le dernier mot en lui clouant le bec. Quand l'ego domine, il est pratiquement impossible de prendre le recul nécessaire pour me dire que j'ai peut-être agi de façon idiote, ou que mon interlocuteur est lui-même en déséquilibre émotionnel, que ses paroles n'en sont que le reflet, ou encore qu'il est dans l'erreur et que je peux le démontrer sans animosité. Il m'appartient donc de faire un chemin d'apprentissage et de domestication de mon propre ego pour comprendre qu'il me voile le regard et me pousse à des réactions primaires et destructrices. Quand deux egos non contrôlés s'affrontent et enclenchent les mécanismes de revanche, l'escalade devient vertigineuse et conduit inévitablement à des situations extrêmes que tous deux regretteront un jour. Le processus de la revanche passe forcément par une blessure d'ego, un heurt à notre amour propre. Souvent la colère est de mise dans les premiers pas de la planification de la vengeance, ce sentiment si fort qu'il pousse certains au crime.
Il est donc primordial de connaître les mécanismes intérieurs qui enclenchent l'esprit de revanche, de faire plusieurs fois l'exercice du recul lorsque nous nous sentons heurtés, de garder la bouche fermée et de se mettre en observation quand la colère s'éveille. En agissant ainsi, non seulement on arrivera à mieux comprendre l'enchaînement qui mène à la spirale de la vengeance, mais on s'apercevra que le jeu n'en valait pas la chandelle la plupart du temps. « Qu'ai-je vraiment gagné en me vengeant? » La réponse est pratiquement tout le temps « dans l'absolu: rien ! » On a l'impression de vivre un soulagement, mais la vérité est que nous nous faisons du mal en faisant du mal à autrui, et que le bénéfice n'existe pas!

La vengeance est une ruine de l'âme et de l'être, mais il n'est pas toujours facile d'en rester éloigné. Par le travail méditatif, on peut se concentrer sur des cas réels vécus afin d'examiner les causes véritables du heurt de l'ego, constater au fil du temps qu'il est tout à fait possible de s'éloigner de ces maux en domptant l'ego justement. En fait comprendre qu'une blessure n'en est en fait pas une, permet de surpasser les pulsions qui mènent à la revanche et à la vengeance. Celui qui a causé le mal est en fait bien plus malheureux et bien plus pauvre en conscience, il reste bloqué à un stade d'évolution fort primaire, et il est finalement plus à plaindre qu'autre chose, dans le fond c'est lui qu'il faut aider...

Si chaque humain pouvait faire ce travail sur lui-même alors la paix véritable, celle avec son voisin, avec son prochain, verrait son application réelle et à large spectre puisque transmissible d'humain en humain. Encore une fois c'est chaque petit grain de sable qui doit changer intégralement de couleur pour que la plage puisse changer de couleur durablement...

Orlandres

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