Louis Aragon écrivait: "Le soleil a toujours blessé les yeux de ses adorateurs."

C'est en pensant à la petite Suisse que m'est venue l'entrée en matière de ce récit. En effet la Suisse ne pratique pas le culte de la personnalité et ne connaît pas ce qu'on appelle le "vedettarisme", raison pour laquelle beaucoup de célébrités de toute l'Europe et du monde viennent résider dans ce beau petit pays. Certes les raisons sont aussi fiscales, mais il est un fait que ces personnalités peuvent se promener dans les espaces publics sans être interpellées en permanence par des journalistes ou simplement par les passants.

A la caisse de l'un de nos supermarchés nationaux je fis la rencontre de Mme Ruth Dreyfuss, première femme devenue présidente de la Confédération Helvétique, qui faisait ses courses comme tout le monde. Je luis dis "bonjour Madame", elle me répondit avec un sourire généreux "bonjour Monsieur", puis nous poursuivîmes nos occupations de part et d'autre. Souvent je revois cette scène et la transpose en Italie ou en France, imaginez que vous rencontrez M. Chirac à la caisse d'un supermarché, c'est un événement, une chose unique et incroyable, il y a immédiatement une foule qui se presse autour de lui, pour le saluer, prendre des photos ou encore juste le contempler en croyant jouir d'un moment magique et privilégié de la vie. Ces gens se mettent dans une forme d'adoration, même s'ils ne sont pas en accord avec l'ensemble des idées de M. Chirac. Le simple fait de pouvoir approcher une telle célébrité suffit à se donner une sorte d'importance, d'existence favorisée. Certaines cultures adoptent plus que d'autres l'adoration, tant vis-à-vis des hommes que de dieux ou de saints, on le voit dans la majorité des pays anglo-saxons, en Italie, en France, en Amérique latine, en Asie, etc. Alors que les pays nordiques, l'Islande ou encore la Suisse restent bien plus distants vis-à-vis du fanatisme quel qu'il soit. Est-ce dû au niveau de l'éducation civique? J'en ai bien l'impression.

L'adoration figure parmi les aberrations de l'humain, parmi ses formes de pensée ou attitudes singulières caractéristiques à notre espèce. L'adoration est le fait d'aimer à l'excès, mais aussi la dévotion et le culte d'une croyance de façon totalement soumise. L'adoration installe un voile trompeur qui ne permet pas à l'esprit critique et au sens logique la pratique d'une analyse objective de l'objet adoré. En quelque sorte l'adoration mène à l'irrationnel et à la décadence de l'être qui entre dans une forme d'errance, de dérive vers la chose adorée. De la même manière que les pratiques religieuses d'adoration de dieux ou de saints emprisonnent l'esprit humain, l'adoration d'un chanteur, d'un écrivain, d'une personnalité quelconque met l'adorateur dans une soumission aveugle très facilement exploitable. Les religions n'ont-elles pas usé de méthodes efficaces pour rabaisser les adorateurs et les mettre au rang de serviteurs exploités? "Tu adoreras le Seigneur, ton Dieu, et tu le serviras" dit le premier commandement. Non seulement il demande d'adorer Dieu, mais il impose une adoration à sens unique en décriant avec virulence toute autre existence de dieux différents. Quelle aubaine pour les religieux afin d'exercer leur pouvoir sur un peuple soumis par l'adoration, et cela pendant plus de 5'000 ans!

De l'adoration religieuse est née la louange, le fait de faire hommage au(x) dieu(x), d'effectuer des rites d'adoration, instituant des traditions au sein des croyants. Ces traditions perdurent et traversent le temps, les générations, en obstruant la vision de la remise en question, de l'analyse des bien-fondés de l'objet loué. Une fois de plus l'aveuglement résulte de toutes ce pratiques, et bloque l'humain dans son évolution et dans son épanouissement. A cela s'ajoute le sacre, le fait de conférer à un humain ou à un objet un caractère divin et supérieur, nouvel objet de louanges, d'adorations, de dévotion et de soumission...

Comment "recadrer" ces principes dans un axe différent, évolutif et épanouissant? C'est l'objet qui m'anime, loin de moi l'idée d'enfouir tout cela dans la corbeille à croyances toxiques et d'en rester là, mais il s'agit bien de redéfinir en vue d'assumer une autre forme d'évolution, enfin!

Après mûre réflexion il m'est très difficile de défendre l'adoration, quelle qu'elle soit. Peu importe l'objet d'adoration, j'ai beau chercher, je n'arrive pas à trouver une bonne raison à son existence. A ne pas confondre avec l'admiration objective, moins toxique à mon sens,  l'adoration mène à la manipulation et trop souvent à l'exploitation. Il est important de comprendre les chemins qui mènent à l'adoration, les mécanismes au fond de notre être qui lui permettent de s'installer. Ils sont étrangement liés à l'envie et à l'humilité, donc à l'ego et au manque de confiance en soi, comme une réaction inconditionnelle peu consciente et peu réfléchie, trop souvent insufflée par un groupe ou par une simple pulsion de l'émotion. Devons-nous subir ces effets? Sommes-nous vraiment de pauvres victimes? Je ne crois pas, du moins si l'on met à contribution la formidable capacité d'analyse et de logique de la conscience. L'adorateur est alors un volontaire, il n'est pas à plaindre, c'est lui qui fait le choix d'adorer, car il a le choix, toujours! Il paraît difficile, voire parfois impossible de détourner l'adorateur vers des sentiers plus sages et plus constructifs, la plupart du temps sa propre foi est en jeu, et bousculer la foi représente un chemin personnel également volontaire…

Ce qui m'intéresse un peu plus, c'est de reprendre les concepts de sacre et de louange, car ils peuvent être considérés autrement, notamment avec l'avancée de la science en matière d'études d'énergies subtiles.

Bien que l'origine de la Création représente encore un mystère pour l'humanité, la physique quantique amène des questionnements d'ordre quasi-métaphysique, y compris pour les chercheurs les plus newtoniens. Comment se fait-il que des particules réagissent d'une façon lorsqu'il y a un observateur, alors que dans l'indifférence les réactions donnent un autre résultat? Y aurait-il un phénomène de cause à effet lié intimement à l'intention de l'esprit? Personnellement j'en suis convaincu et je me réjouis de savoir que la recherche scientifique s'intéresse à ces phénomènes, aussi les résultats ne me surprennent pas. La conscience est donc une énergie, les pensées en sont l'expression et les émanations. Le spectre énergétique subtil de la conscience reste à explorer et à quantifier, c'est ce à quoi nombre de savants s'attèlent. Les travaux de Masaru Emoto sur la mémoire de l'eau démontrent les effets de l'intention humaine sur la structuration moléculaire de l'eau; ses expériences reprises par d'autres chercheurs mettent en lumière les résultats étonnants de la consommation d'eau chimiquement identique mais structurellement modifiée. Si je ne m’en tiens qu'à cet exemple, l'intention de la conscience humaine a donc une incidence non négligeable, qu'elle soit gratifiante ou négative. Et que penser de ses effets sur notre corps composé essentiellement d'eau?

Grâce à l'avancée de la science et de la connaissance, la logique et l'intelligence humaines permettent de pratiquer d'autres louanges, de sacraliser d'autres objets, avec une objectivité plus constructive et plus évolutive. En effet, si l'intention de la conscience modifie la structure et les effets des choses, louer et gratifier un repas, un verre d'eau, les gens qui nous entourent, l'esprit qui nous habite, l'amour, l'amitié, la paix, l'harmonie, la liberté, la bonne santé, la bienveillance, et bien d'autres choses positives et bienfaisantes, la vie, la nature, la prospérité (à ne pas confondre avec la cupidité), bref, l'existence dans son entier, devient un acte nécessaire et responsable. Il ne nous est pas donné de recevoir les belles choses, il faut tendre vers elles, avec tout son être, et surtout ne pas sous-estimer les effets de notre propre pensée. Chacun peut y parvenir, car toute pensée émanée crée son lot de conséquences. En sacralisant objectivement le positif et la vie on ne commet pas un acte de soumission ni de dévotion, on assume juste la loi universelle de cause à effet dont nous sommes des acteurs puissants, et on favorise un retour positif pour soi. N'est-ce pas là une meilleure façon de vivre le sacre et la louange, tout en assumant notre propre responsabilité?

Orlandres

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